odezenne :

Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.  
EM CIORAN —

"Je trace dans les rues, il pleut légèrement, les morceaux de l'advance CD de ODEZENNE défilent en shuffle dans le coeur moelleux des oreillettes de mon casque Sennheiser.

Freeze. Sous la lumière crue de l'éclairage public, je me sens comme un lapin figé par la lumière des phares du 4x4 qui fonce sur la départementale : comment est-ce franchement possible d'écrire sur ODEZENNE ? Tout y est déjà si littéraire et si fluide ? Je veux dire : ils disent déjà tout. En sons, en paroles, en gestes, même. C'est le job infaisable, mec, ou quasi. Au mieux on peut s'en tirer comme PPDA avec Hemingway, copier/plagier/sampler les meilleurs cuts. On connaît le fameux mot de Franck Zappa de toutes façons : "écrire sur la musique, c'est comme danser sur l'architecture".

Danser ? OK. Rentrer un head spin sur le beat, où des séries de six steps pendant que les rimes s'enchaînent, yo. Dès l'entrée de jeu, sur leur long jeu, les MC d'ODEZENNE envoient un marabout haletant,  comme pour donner le tempo de leur talent.

Sans pour autant se la péter, loin de là. Péter trop haut, pas leur truc, à c'qu'on dirait : ils s'autoproclament  "rappeurs sans millions", le compte en banque moins épais qu'une doudoune de caillera, et prennent des poses aux antipodes du bling bling - ODEZENNE semblent connaître la valeur des moindres piècettes, du moindre petit bifton, la plus petite coupure.

D'autres coupures qu'ODEZENNE me semblent bien connaître, ce sont celles de l'âme. Les blessures. "Un goût amer dans nos syllabes et du spleen en décibels", confessent-ils même sur un fond de jazz scratché.

Les voix de ODEZENNE s'épanchent, et c'est le règlement de comptes avec les mauvais souvenirs, les règlements de contes avec les utopies vandalisées. Des mots doux sur la dureté de la vie. Des arrangements clean sur des histoires de street qui tournent parfois au très très glauque. La richesse et la volupté du son au service d'une certaine conscience de classe.

Du point de vue de la carte d'identité, ODEZENNE est situé sur un axe Bordeaux-Paris. Ou Paris-Bordeaux, c'est selon.

Comme un TGV, en somme.

Première classe pour le packaging, c'est couru d'avance. Je suis sûr en revanche que les gars n'ont  pas de titre de transport valide. C'est couru d'avance. Tout au plus, quelque soit le nom que l'on donne de nos jours à ce genre d'attirail, un baluchon de poète."


Guillaume Gwardeath