le pater d'anissa carmen

y doit être 15h. enfermé dans une piaule universitaire.
en quarantaine.
c'est dimanche et le campus est déguisé en hôtel pour la saison. ça sent le neuf-vieux.

je balaye la pièce en 360.
beaucoup de jeunes ont dû baiser ici.
je ferme les yeux.

on va jouer? on va pas jouer? on veut jouer? on veut pas jouer?
on dort,
on verra bien…
de toute façon, on fera forcément un truc ce soir. 

de l'autre côté de la vitre, le temps est déprimé. pas grand chose dans le coin à part du gris. 
la pluie tapine, elle s'applique à faire mouiller l'sol. 
une tête frisé vient nous chercher dans le hall :

—"ola! el primero concierto fué annulado cabrone.

— okay."

y'a peu de chance qu'on joue donc.

quelques heures après, le gars nous emmène quand même sur le festival, au cas où.
les techniciens jouent des caisses, refont la scène, débâchent, essuient le sol.
des mecs dans des nuages continuent à nous cracher dessus,
un gars pissent près de la plage,
le vent s'amuse à faire vaciller la scène.
on branche les machines.

_"bon c'est simple, c'est comme vous voulez! soit vous montez, soit on annule. la sécu veut bien tenter l'coup, à vous de voir les gars. ça souffle."

le cœur frappe trop.
c'est toujours la même merde avant de monter sur scène. on se fait des câlins comme des petits pds ou des frères qui partent en guerre. une fois dessus on chante vaudou pour arrêter l'eau du ciel.
ça marche pas mais les gens dansent. j'aime quand les gens dansent. les lumières s'éteignent. on applaudie. il se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.

1h30.
objectif boire du whisky dans la ville.
l'euphorie en sortant d'un concert, c'est un peu comme après un exam ou quand t'as rangé ton appart : tu veux fumer un joint. t'es fier de toi, faut fêter ça.

en bas d'un escalier en pierre, dans une cave, des gens jouent le jazz.
une nana boudinée dans sa robe chante bien. sa voix est pulpeuse et moite comme mes mains. elle a de magnifiques yeux de vaches avec de grands cils bleus.
au premier rang, on est saoul. on décompresse. on danse sur ces incantations à elle.

assez vite ça "jam", et assez vite on se retrouve à rapper avec des jazzeux.
le verre à la main donne le courage, le micro dans l'autre fait le reste.

le micro parle tout seul de toute façon, il dit ses propres mots. il est libre et bourré, et dans la salle, les gens crient. les musiciens nous écoutent et ils sourient, on écoute les musiciens et on sourit, les gens nous écoutent et ils sourient. est-ce que c'est ça la grande famille du jazz?? deux nanas au bar m'agrippent le bras:

— "heyy!  c'est la batteurrr d'avishai cohen la pelsonna qui joué avec tou!!! tou té rend compte!!"

— "c'est qui anissa carmen?"

elles z'entendent pas.
ou elles comprennent pas, j'sais pas.
je tente un "moui Biaine" pour partir poli.

je retourne à mon whisky.
en apesanteur, je flotte sur un nuage musical bio.

après c'est brouillon,
y a une plage et du vent sur ma gueule,
un hall d'hôtel de luxe,
y'a un hamster et une blanche aux gros seins qui se prend pour une danseuse africaine.
après c'est le matin,
c'est ma tête écrasée sur l'oreiller et des souvenirs intactes d'images floues.
un air de piano surtout
et le pater d'anissa carmen dans mon cerveau mou


.
_alix